Jeudi dernier, après dix années passées en prison, à La Haye, où il était poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité, Laurent Gbagbo est rentré en Côte d’Ivoire, acquitté des charges qui pesaient sur lui. Son retour au pays “en toute liberté”, largement favorisé par la volonté de l’actuel président Alassane Ouattara de servir la “réconciliation nationale”, n’en annule pas pour autant la douleur des victimes, qui lui reprochent d’avoir précipité le pays dans la guerre civile par son refus de reconnaître sa défaite à la présidentielle de 2010.

Retour au pays

Jeudi 17 juin, peu avant 16h30, l’avion transportant Laurent Gbagbo a atterri à Abidjan, où des centaines de personnes ont fait le déplacement pour l’acclamer. Sans trop attendre, l’ancien président s’est rendu dans le quartier d’Attoban, lieu de son ancien QG de campagne pour l’élection présidentielle de 2010, réaffirmant sa joie de “retrouver la Côte d’Ivoire et l’Afrique après avoir été acquitté” de crimes contre l’humanité par la justice internationale.

Refusant de reconnaître sa défaite face à Alassane Ouattara lors de la présidentielle de 2010, Laurent Gbagbo avait mis le feu aux poudres : une grave crise post-électorale sur fond de violences s’en était suivie, causant la mort de quelque 3 000 personnes. Au pouvoir depuis 2000, le président sortant est finalement arrêté en avril 2011 à Abidjan puis transféré à la Cour pénale internationale à la Haye, aux Pays-Bas. Après un séjour de plusieurs années en prison, il est acquitté en janvier 2019, puis transféré à Bruxelles.

Les victimes dans l’attente d’une reconnaissance

Le retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire acte symboliquement la fin des poursuites internationales dont il faisait l’objet. Mais l’ancien président avait par ailleurs été condamné à une peine de 20 ans de réclusion par la justice ivoirienne en 2018. Une condamnation par contumace due à son implication dans le « casse » de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui devrait faire l’objet d’une amnistie présidentielle.

En Côte d’Ivoire, si chacun comprend bien qu’il est essentiel d’œuvrer pour la réconciliation afin d’éviter que ne se reproduisent de telles crises et que ne se comptent de nouveau les victimes par milliers, le retour libre, de celui que certains surnomment le « guide » n’en est pas moins envisagé avec amertume par d’autres. Lors de la crise, alors que plus de 3 000 citoyens ont perdu la vie, plus d’un millier de personnes ont été blessées, et de nombreuses autres ont été victimes de viols et exactions. Propriétaire de la mosquée d’Abobo, dans le nord d’Abidjan, Issa Bokoun a été touché par un éclat d’obus, et accuse les forces pro-Gbagbo d’être responsables du bombardement. La relaxe de l’ancien président l’a dans un premier temps choqué. Invité avec d’autres victimes au palais présidentiel par Alassane Ouattara, Issa Bokun déclare : “Il (Alassane Ouattara, ndlr) nous a demandé de pardonner, pour la réconciliation nationale”.

Attendu comme le messie pour certains, détesté par d’autres, l’accueil de Laurent Gbagbo a fait l’objet de multiples négociations entre son parti, le Front populaire ivoirien, et le gouvernement en place. Alors que le FPI œuvrait pour un accueil en bonne et due forme dans les rues d’Abidjan, le pouvoir souhaitait que son retour se fasse sans “triomphalisme”, le plus simplement possible, avec le même objectif : un apaisement des relations.

Symbole de la réconciliation nationale

Lors d’une allocution télévisée à la veille du dernier Nouvel An, le président ivoirien nouvellement réélu a appelé ses concitoyens à faire preuve d’apaisement et de dialogue. A la suite de pourparlers lancés en décembre avec l’opposition et la société civile, Alassane Ouattara se félicitait d’ailleurs de la “qualité” du dialogue politique entamé. “(Je suis) confiant qu’avec l’implication de tous, ce grand chantier de la réconciliation sera conduit avec succès”, avait-il affirmé, plaidant pour une intensification des “actions en faveur du pardon et de la concorde nationale”. “Nous avons tous la responsabilité de préserver la paix, de bannir la violence et d’unir nos forces pour la construction d’une nation apaisée”, ajoutait-il.

Un discours chargé d’espoir qui semble avoir porté ses fruits, alors que les dernières élections législatives en mars se sont déroulées dans le calme, rassemblant les grands partis de l’opposition. Dans ce contexte, le retour de Laurent Gbagbo est présenté par le gouvernement comme un pas supplémentaire en faveur de la réconciliation. En 2018 déjà, Alassane Ouattara amnistiait 800 personnes poursuivies pour leur implication dans les violences post-électorales de 2010 et 2011, dont l’ex-première Dame Simone Gbagbo. Des mesures symboliques, fruits d’un arbitrage délicat qui reflète la volonté du Chef d’État de se tourner vers l’avenir.