Samedi 24 octobre, la CENI (Commission électorale nationale indépendante) a annoncé les résultats du scrutin présidentiel. Sans surprise, le Président sortant Alpha Condé remporte 59,49% des suffrages, avec 2,438 millions de voix. Un bilan considéré comme une “fraude à grande échelle”, selon son principal rival, Cellou Dalein Diallo. Silencieuse depuis l’annonce des résultats, l’Union européenne vient de sortir de sa réserve en annonçant que « des interrogations demeurent quant à la crédibilité du résultat, notamment en ce qui concerne la remontée des PV et le décompte final des votes ».

D’un coup d’État constitutionnel à un coup d’État électoral  

Tout s’est joué le 7 avril dernier. Alpha Condé, alors Président pour un deuxième mandat, fait adopter une nouvelle Constitution, lui permettant de se représenter à l’élection du 18 octobre. L’octogénaire espère ainsi gouverner la Guinée une troisième fois pour une durée de six ans renouvelable une fois. Malgré l’appel au boycott du référendum par l’opposition le 22 mars, la nouvelle Loi fondamentale est promulguée, assurant à Alpha Condé une douzaine d’années de règne supplémentaires. Un “coup d’Etat constitutionnel”, selon le Front national pour la défense de la Constitution, qui “ne reconnaîtra aucune institution sortie de cette mascarade électorale”.

Quelques mois plus tard, le scénario autocratique semble se confirmer. Avec, selon Cellou Dalein Diallo, une Cour constitutionnelle inféodée au pouvoir et une Commission électorale également sous sa coupe, tout est mis en place pour qu’Alpha Condé remporte à nouveau l’élection.

Pour couronner le tout, le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) semble ne reculer devant rien pour faire basculer le scrutin à son avantage en Haute Guinée : taux de participation parfois supérieurs au nombre d’électeurs, peu de bulletins nuls dans le fief du parti ou encore aucun procès verbal problématique… Il existe en Guinée une longue tradition de contestations : en 2013 – élection législative – et 2015 – élection présidentielle -, des résultats étranges, en faveur d’Alpha Condé avaient déjà été observés dans ses fiefs…

Manifestations meurtrières et privations de liberté : la tension à son apogée

Depuis plusieurs mois déjà, les violences interethniques se multiplient, sur fond de discours haineux du chef de l’Etat, qui n’hésite pas à diviser la communauté. “Tout Malinké qui voterait pour un autre candidat que celui du RPG aura voté pour Cellou”, scandait-il en septembre dernier. Il est vrai que lors des élections précédentes, les résultats sont frappants : si Alpha Condé peut compter sur le soutien des Malinkés, le principal candidat de l’opposition, Cellou Dalein Diallo récolte quant à lui majoritairement les voix des électeurs Peuls. L’utilisation d’arguments ethniques de la part du Président questionne cependant quant à l’état de la Démocratie en Guinée. Ces arguments ne cacheraient-ils pas un vide politique? Une manière habile de détourner l’attention.

A la suite de ces déclarations, les forces de défense et de sécurité n’hésitent pas à répondre par la force aux manifestations des opposants. Connues pour tirer à balles réelles sur les contestataires, les forces de l’ordre ont déjà provoqué la mort de plusieurs d’entre eux depuis le jour du scrutin. Une vingtaine d’après les chiffres officiels, dix de plus selon l’opposition. Sans oublier le nombre de blessés, qui se compte désormais par centaines… Depuis l’intervention de l’armée le 22 octobre aux côté des FDS, les manifestations post-électorales atteignent des niveaux de violence inouïs. Les militaires et les “bérets rouges” – bataillon de sécurité du Président – n’hésitent pas à tirer sur les opposants politiques.

En réponse à la montée des violences en Guinée, Antonio Guterres appelle à une “solution pacifique” basée sur le “dialogue”. Le secrétaire général des Nations Unies “exhorte les leaders d’opinion et la presse à mettre un terme à tout discours incendiaire et appelle à la dissension d’inspiration ethniciste”. Dimanche dernier, des émissaires de la CEDEAO, de l’Union africaine et de l’ONU se sont rendus en Guinée. Leur mission? Faciliter la médiation de la crise politique et apaiser les violences post-électorales.

Les tensions communautaires ne sont malheureusement pas le seul signe de la privation du pouvoir par Alpha Condé et ses partisans… Perturbations majeures d’Internet, presse muselée et opposants arrêtés, qu’en est-il du régime démocratique que le Président Condé promouvait dix ans plus tôt? “Bravo à Alpha Condé de montrer aux incrédules, s’il en existe encore, que marcher sur des cadavres pour accéder au fauteuil présidentiel est désormais partie intégrante du processus électoral en Afrique”, déplore le journaliste Morin Yamongbe.

L’opposition plus que jamais déterminée à dévoiler la vérité

Déjà aux élections législatives de 2013 et aux précédentes élections présidentielles en 2010 et 2015, Cellou Dalein Diallo avait contesté les résultats. Cette année, il refuse de laisser sa place à Alpha Condé. Le lendemain du scrutin, le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) propose de court-circuiter le processus originel. Sans grand étonnement, après la collecte des procès verbaux par son parti, il sort vainqueur au premier tour, comptabilisant 53,84% des votes.

Cellou Dalein Diallo peut désormais compter sur le soutien de l’Union européenne, qui a récemment fait part de ses interrogations quant à la crédibilité du résultat, notamment sur le décompte final des bulletins ainsi que la remontée des procès verbaux. La situation politique ne semble donc pas totalement figée. Avec la sortie de l’UE de sa réserve, d’autres institutions internationales pourraient également exhorter les autorités à mener des enquêtes indépendantes et rendre justice au leader de l’opposition.  Pour l’ancien Premier ministre, pas question de se laisser faire cette fois-ci. 2020 sera sa victoire.