Huang Wei, l’ambassadeur de Chine en poste à Conakry depuis 2018, est la cheville ouvrière du rapprochement entre la Guinée et la Chine, sur laquelle compte le vieux président Alpha Condé pour assurer un éventuel 3e mandat. Ces liens de plus en plus étroits font cependant grincer des dents dans le pays, 174e pays dans le classement de l’Indice de développement humain, où la population peine à voir les bénéfices de son ouverture croissante aux entreprises chinoises.

Soutien sans réserve à la reprise en main de Hong-Kong par Pékin, négation du « génocide » des Ouïghours musulmans dans l’Ouest de la Chine à l’ONU, accueil sans réserve des entreprises minières chinoises qui s’installent pour exploiter les riches gisements de bauxite, sans que la population locale ne profite de cette manne… La Guinée du président Alpha Condé, 82 ans au compteur dont 10 années de règne sans partage, ne manque jamais de multiplier les gestes d’allégeance à l’égard de l’Empire du Milieu. Voyages officiels, visites d’Etat, escapades privées… Tout pénétré qu’il est du vieil adage selon lequel ce qui est loin des yeux est aussi loin du cœur, le vieux chef d’Etat aligne les allers retours en jets privés de location avec la Chine sans souci de faire exploser les frais de déplacement de la présidence guinéenne. Parce qu’il est au fond un grand affectif, Alpha Condé le globe-trotter sait qu’il peut compter sur l’amitié réciproque de Pékin. La Chine de Xi Jinping, qui multiplie les exécutions et les disparitions d’opposants, la persécution méthodique de ses minorités religieuses et la surveillance policière de sa population à coup de caméras à reconnaissance faciale et de délation généralisée, soutient de son côté sans la moindre réserve les entorses faites aux droits de l’homme par un régime guinéen de plus en plus isolé sur la scène internationale. Et s’ouvre par la même un accès illimité aux vastes mines de bauxite du pays, si riches de ce composant essentiel de l’aluminium, dont le pays détient le premier gisement mondial. Un minerai précieux dont les cités-usines du sud de la Chine, toutes tendues de filets anti-suicide comme des toiles d’araignées, ont un besoin désespéré pour soutenir la fuite en avant productiviste de l’économie chinoise et alimenter en argent frais la pyramide de corruption qui assure la survie du Parti Communiste Chinois.

Huang Wei, homme clef des relations sino-guinéennes

L’homme qui peut offrir son 3e mandat à Alpha Condé, et permettre à son clan de maintenir son train de vie pharaonique grâce aux moyens de l’Etat, n’est autre que Huang Wei l’ambassadeur de Chine à Conakry. Le diplomate âgé de 55 ans, parfaitement francophone, est né en février 1965 à Baoji dans le Shaanxi dans le centre de la Chine. Cette province dont est aussi originaire Xi-Jinping, s’est montrée particulièrement généreuse avec le petit pays d’Afrique de l’Ouest lors de la crise du Covid-19 en expédiant quelques cartons de masques et quelques bidons de gel hydroalcoolique bienvenus, dans un pays doté d’un système médical archaïque. Une générosité qui n’est cependant pas sans arrière-pensée : outre Huang Wei, le plus éminent représentant du Shaanxi n’est autre que Sinohydro, compagnie basée depuis 2011 à Conakry, à l’origine des barrages hydroélectriques de Kaléta et Souapiti qui alimentent davantage les usines chinoises que les villes de l’arrière-pays. La construction de ce dernier avait même entraîné le déplacement de 16 000 habitants après que le lac de rétention formé par la construction du barrage ait englouti 101 villages et hameaux, 550 000 arbres fruitiers, 42 kilomètres carré de cultures, sans contrepartie autre que la fourniture d’une aide alimentaire d’urgence. Une situation humanitaire critique, dénoncée par l’ONG Human Rights Watch, qui n’empêche pas l’entreprise de continuer à remporter appel d’offres sur appel d’offres publics pour de nouveaux projets d’infrastructures dont la population ne voit jamais les bénéfices.

Faire taire les critiques et adoucir les heurts de plus en plus nombreux entre la présence chinoise de plus en plus visible et une population guinéenne de plus en plus convaincue d’être laissée de côté, telle est la feuille de route de Huang Wei. Le diplomate a suivi le cursus honorum classique des diplomates chinois. A 21 ans, ce jeune membre du parti communiste chinois entre au ministère des Affaires étrangères de la République de Chine après un diplôme d’études universitaires. Rien ne vaut le terrain pour apprendre : en 1994, Huang Wei est en poste pour la première fois sur le continent africain, à l’ambassade de Chine au Mali, en France de 2005 à 2011 puis de 2016 à 2018, au Gabon entre 2011 et 2013, avant de poser ses valises en Guinée en 2018.

Après Bamako et Libreville, Huang Wei à Conakry a très vite su se faire adopter des crocodiles du clan Condé et notamment de Mamadi Touré, l’embarrassant ministre des Affaires étrangères de Guinée, jamais à une contradiction près. Le ministre plénipotentiaire, à qui ses collaborateurs ne manquent jamais de donner de « l’excellence », soulignait en mai le rôle d’avant-garde joué par la Guinée dans « l’émancipation des peuples africains ». Le même n’eut pourtant aucun scrupule un mois plus tard à donner son blanc-seing à l’annexion d’Hong-Kong par Pékin. Le même Mamadi Touré, représentant sur la scène internationale d’un pays musulman à plus de 80%, paraissait également peu soucieux de cohérence en niant les « allégations non fondées » de persécutions des musulmans ouïghours dans l’Ouest de la Chine devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Des propos tenus sans la moindre gêne, malgré l’accumulation ces derniers mois d’images des trains de prisonniers et de camps d’internement, de récits glaçants de campagnes de stérilisations forcées et de trafic d’organes prélevés sur les détenus ouïghours. Des témoignages de sources diverses et concordantes, qui suscitent l’indignation dans le reste du monde, ou inspirent du moins le besoin d’éclaircir une situation qui paraît particulièrement embrouillée derrière des écrans de fumée habilement suscités par la propagande d’Etat. « Circulez y’à rien à voir », oppose l’inénarrable Mamadi Touré, droit comme la justice, tranquille comme Baptiste. Qu’il est doux d’être en paix avec sa propre conscience quand des innocents souffrent !

Huang Wei, un diplomate pour éteindre les polémiques

Si Huang Wei peut compter sur la ductilité et le zèle de ses interlocuteurs guinéens, toujours prêts à reconnaître leur intérêt dans une soumission aveugle à Pékin, le job d’ambassadeur de Chine n’est pourtant pas toujours de tout repos. Au printemps dernier, des témoignages et des vidéos montrant des étudiants africains en Chine victimes de discriminations raciales ont soulevé l’indignation à travers tout le continent, et plus particulièrement en Guinée. Plusieurs ressortissants du pays vivant dans le Guangdong ont en effet été massivement expulsés de leurs logements, stigmatisés dans les transports en commun et interdits d’entrer dans les commerces, après que des étudiants nigérians aient été testés positifs au Covid-19 à Canton. D’autres cas d’actes racistes ont été, par la suite, rapportés dans le reste de la Chine, notamment dans la province du Guangzhou, où des campagnes de dépistage et des quarantaines forcées visant exclusivement les personnes noires ont été mises en œuvre.

Ces événements ont suscité une très ferme condamnation de l’ONG Human Rights Watch, qui a enjoint les autorités chinoises à mettre fin au traitement discriminatoire des Africains dans le cadre de sa lutte contre la pandémie de Covid-19. En Guinée, le Bloc Libéral de Faya Millimouno s’est insurgé contre les traitements vexatoires infligés aux étudiants africains au Chine. Et le même d’appeler le vieux président guinéen à réagir par la voie diplomatique. « Même si ça sera difficile pour Alpha Condé et les extrémistes autour de lui de le faire, parce qu’ils dépendent de la Chine, ils doivent appeler clairement l’ambassadeur de la Chine pour lui dire que ce qui se fait en Chine doit s’arrêter », a-t-il martelé.

Pour déminer la polémique, l’ambassadeur de Chine Huang Wei était allé protester de la bonne foi de son pays devant un parterre d’officiels guinéens déjà conquis, tout prêt à croire les accusations pointant du doigt la « propagande américaine ». Et de fermer les yeux sur les traitements vexatoires et racistes infligés à ses propres ressortissants au nom de l’amitié « sino-guinéenne ».

Une caricature de Chinafrique

La placidité des diplomates guinéens face à Huang Wei montre, à elle seule, combien la Chine s’est rendue indispensable à la Guinée du vieux Alpha Condé. Engagé dans une fuite en avant autoritaire pour conserver son trône à tout prix, le régime ne peut plus espérer son salut que de l’étranger. Après que les forces de sécurité guinéennes aient ouvert le feu sur des manifestants lors d’un référendum constitutionnel décrié par l’opposition le 22 mars dernier, la Chine de Xi Jinpig ne s’était pas privée de souligner « les bonnes conditions » dans lesquelles le scrutin se serait déroulé. Un soutien précieux, venu d’un pays dans lequel le dirigeant l’est également à vie, alors que les condamnations venues de l’étranger s’abattaient implacablement sur le vieux président. Ces paroles réconfortantes ont été accueillies avec soulagement au Palais Sékhoutouréya, où l’on se claquemure derrière des gardes casqués et des murailles de protocole obséquieux, en redoutant plus que tout d’être mis au ban de la communauté internationale. Dans le même temps, la rue craint, quant à elle, que le chef d’Etat cacochyme ne s’installe au pouvoir jusqu’à ses 87 ans, et semble plus que jamais au bord de l’éruption.

À maints égards, la Guinée d’Alpha Condé incarne désormais jusqu’à la caricature la « Chinafrique », cette nouvelle lèpre qui ronge les Etats africains prêts à monnayer leur indépendance contre des investissements de plusieurs dizaines de millions de dollars, des stades-Potemkine où ne jouent aucune équipe de football hors compétitions internationales et la ratification de scrutins douteux qui ne trompent aucune chancellerie, ridiculisent et isolent davantage à chaque fois les régimes qui les organisent. Cette influence croissante de la Chine en Afrique, tant du point de vue de la captation des ressources naturelles que du point de vue politique, se mesure notamment dans le virage autoritaire que prennent plusieurs Etats du continent, dans leurs compromissions diplomatiques, et dans la multiplication des compagnies minières chinoises fouillant leur sol à la recherche de précieuses matières premières – sans la moindre retombée pour les populations. Car les entreprises battant pavillon chinois importent leurs propres bataillons de travailleurs venus d’Asie, bouffis par la chaleur et rongés par l’alcool de riz et le paludisme, plutôt que de créer de l’emploi localement ou de faire bénéficier la population de l’eau courante et de l’électricité qui alimentent leurs camps de base en baraquements de fortune au cœur de la jungle.

Preuve de ce déséquilibre qui inspire un véritable malaise dans la population, et notamment chez les jeunes Guinéens, qui subissent le chômage de masse, et n’ont que peu de perspective d’avenir dans un pays classé 174e en matière d’index de développement humain : alors que les revenus miniers représentent 13% du PIB du pays, le secteur ne représente quant à lui que 3% de l’emploi en Guinée. Malgré les émeutes du désespoir qui éclatent sporadiquement dans l’arrière-pays contre ces entreprises chinoises comme Chalco, filiale de Chinalco, ou TBEA Group accusées de piller les richesses du sol sans contreparties, la présidence guinéenne maintient quant à elle son cap, toute obnubilée qu’elle est par son unique objectif : survivre quoi qu’il en coûte à l’élection présidentielle de décembre prochain.

Alors que la Guinée sera bientôt appelée aux urnes, nul doute que la question de la Chine et de son influence démesurée sur la vie économique et diplomatique du pays pèsera lourd dans la campagne. Et ce d’autant que la gestion calamiteuse du Covid-19 par Pékin a révélé l’ampleur de la paranoïa et de la mythomanie du régime chinois – et sa dangerosité pour la sécurité et la prospérité du monde. Pour que l’amitié sino-guinéenne ne tourne pas à l’aigre, Huang Wei, lui, a du pain sur la planche.